Le passage à l’économie de marché

Les instruments

Dès les premiers moments de la transition, un consensus est trouvé sur la manière de conduire les réformes économiques. Compte tenu des inefficiences théoriques de l’intervention étatique, gouvernants et transitologues s’accordent sur la nécessité de substituer l’économie de marché au système de planification impérative. Il s’agit d’édifier un cadre économique, juridique et politique permettant d’assurer le fonctionnement de l’économie de marché et la sécurité des échanges. Il en découle notamment la suppression des monopoles, la libéralisation des prix et la convertibilité des monnaies. Le désengagement de l’Etat s’opère par la privatisation, mais celle-ci n’est pas une fin en soi ; il importe avant tout de créer des conditions favorables à la naissance d’un secteur privé composé de nouvelles entreprises.

Tableau 1.1. Les étapes de la transition vers l’économie de marché

Etape

Mesures

1

Stabilisation macro-économique

Libéralisation des prix

Réformes juridiques

2

Libéralisation du commerce

Privatisation et restructuration des petites entreprises

3

Mise en place de marchés du travail et de marchés financiers

Privatisation et restructuration des grandes entreprises

Source : travaux divers de S. Estrin

La thérapie de choc et le gradualisme

D’inspiration ultra-libérale, la thérapie de choc préconise le remplacement de l’ancien système et des institutions passées par l’introduction sans délai et sans réserves de l’économie de marché. Cette théorie postule qu’une fois détruites les institutions planifiées, le marché émerge et se développe spontanément et harmonieusement. Il est fait référence à un « choc », dans le sens où l’ajustement macro-économique et la fin de la bureaucratie qui s’en suivent nécessitent des réformes fortes et rapides permettant de bénéficier de l’effet radical d’un « big-bang ». La thérapie de choc est prônée par les principaux responsables de la Banque mondiale, du FMI, de la Réserve fédérale et du Trésor américains, ce qui lui a souvent valu l’appellation de « Consensus de Washington » . L’Union européenne a également élaboré un « Livre blanc » pour la transition, présentant des recommandations similaires. Le plan Balcerowicz, mené en Pologne à partir de janvier 1990 et inspiré par l’économiste monétariste J. Sachs, constitue une application célèbre de la thérapie du choc.

Dans la politique du gradualisme, les réformes sont conduites progressivement, afin de faciliter les ajustements structurels nécessaires pour une « transition en douceur ». La transition ne se conçoit pas comme le remplacement instantané d’un système par un autre, mais comme un processus où les deux logiques coexistent et se concurrencent mutuellement [1]. Le succès du nouveau système ne se dessine qu’à terme et n’est jamais absolu. La stratégie de long terme menée en Hongrie à partir de 1988 constitue un exemple caractéristique du gradualisme ; les autorités hongroises avaient réussi à faire accepter au FMI le principe de réformes progressives, sachant qu’elles y avaient commencé dès 1980, voire 1967.

L’immobilisme et la Troisième voie

Dans certains pays, le changement n’a dans un premier temps guère dépassé les déclarations d’intention. Il en résulta un certain immobilisme, que la plupart des observateurs attribuent à la faiblesse des sociétés civiles locales [2] et à l’absence de partis d’opposition d’inspiration démocratique et libérale. Un changement notable est cependant observable depuis 1997, notamment en Roumanie et en Bulgarie où des réformes courageuses ont été entreprises.

Sous l’ère V. Meciar (1993-1998), la Slovaquie a volontairement opté pour une solution intermédiaire entre l’économie de marché et l’économie planifiée, la Troisième Voie [3]. Au niveau économique, celle-ci se caractérise par l’intervention de l’Etat dans l’économie, le maintien des conglomérats ainsi qu’un certain nombre de mesures protectionnistes préservant les « industries dans l’enfance ». En désaccord avec les recommandations du FMI et de l’UE, cette politique s’est révélée relativement efficace, ce qui irrita longtemps les experts des dites organisations et conduit même à un certain isolement de la Slovaquie [4].

Tableau 1.2. Alternatives pour la transition dans les PECO

 

Thérapie de choc

Gradualisme

Troisième voie

SOCLE THEORIQUE

Droits de propriété, monétarisme

Institutionnalisme, évolutionnisme

Courants successeurs du marxisme

VARIABLE CENTRALE

L’équilibre macro-économique

Les données socio-culturelles

La planification de marché

MOYENS INVOQUES

Ajuster sans délai les structures économiques dans le sens de la suppression des entraves au fonctionnement d’une économie libérale

Faire évoluer les sociétés post-communistes vers un système compatible avec l’économie de marché, compte tenu de résistances d’ordre historique ou culturel

Orienter l’économie vers un développement durable et le bien-être collectif de la population, en refusant tout changement imposé par la pression extérieure

LIEUX D’APPLICATION

Pologne, Rép. Tchèque

Hongrie

Slovaquie

AUTEURS PRINCIPAUX

J. Sachs, S. Estrin, O. Blanchard

R. Boyer, J. Kornai, B. Chavance

Aucun auteur occidental réputé

Source : D. Chelly et H. Kasparova, Vers l’économie de marché : des théories à la réalité, Gecop, 1998.

--------------------------------------------------------------------------------

[1] Pour une vision plus complète de la thérapie de choc et du gradualisme, voir D. Chelly et H. Kasparova, Vers l’économie de marché : des théories à la réalité, Gecop, 1998.

[2] Celle-ci résulte essentiellement des politiques coercitives d’uniformisation des mentalités pratiquées pendant le communisme.

[3] Il s’agit à l’origine d’une idée révolutionnaire popularisée par le général de Gaulle et A. Camus, puis reprise notamment par les chefs d’Etat Tito et Gorbachev.

[4] L’isolement de la Slovaquie est également dû aux pratiques anti-démocratiques et népotiques de V. Meciar, Premier ministre presque sans interruption de l’indépendance du pays en 1993 à 1998. L’actuel Premier Ministre, M. Dzurinda, ainsi que le président R. Schuster montrent quant à eux une orthodoxie politique et économique que l’UE et les autres institutions internationales saluent.

Lire la suite

La conversion au libéralisme >> Le passage à l’économie de marché >> L'ouverture économique

Autres rubriques utiles du site

ku Histoire de l'Europe centrale et orientale